Faire parler de livres — entretien avec Ed Hanssen (seconde partie)

Je me souviens de la fois où j’étais allé voir l’éditrice française de Toine Heijmans pour la soirée organisée en son honneur. Ce jour-là, je me sentais comme un personnage de Balzac, quelqu’un qui vient de province et qui découvre le monde parisien.

Lisez la première partie de l’entretien ici.

Propos recueillis par Ilyess EL KAROUNI — 26 octobre 2022
Deuxième partie, suite et fin

Y a t-il des poètes néerlandais traduits en français ?

Tu me fais penser au fait que le club de lecture ne s’est jamais retrouvé autour d’un livre de poésie. Ce serait bien qu’on mette cela au programme. Pour répondre à ta question, tous les poèmes d’un grand poète néerlandais, Hans Faverey (1933-1990) ont été traduits en français. On peut aussi citer la traduction de ceux de Gerrit Achterberg (1905-1962) dont les éditions de Corlevour ont publié l’an passé un recueil, L’ovaire noir de la poésie, traduit par Daniel Cunin et préfacé par Stefan Hertmans, avec une postface de Willem Jan Otten. La revue Septentrion publie aussi régulièrement des traductions de poèmes.Donc, oui, la poésie néerlandaise est traduite, bien sûr !

J’ai appris qu’aux Pays-Bas, des villes ont un poète attitré, le poète de l’année.

Oui, absolument.

Cela existe-t-il pour toutes les villes ou seulement les plus grandes ?

Au niveau national, on a le Dichter des Vaderlands (le “poète de la patrie”) qui doit écrire des poèmes sur des événements marquants pour le pays. Et un certain nombre de villes, comme Amsterdam ou Rotterdam, ont leur poète attitré qui commente l’actualité de la ville.

Revenons aux traductions et à l’intérêt de la France pour la littérature néerlandaise.

Dans les années 50-60, il y avait un grand intérêt en France pour la littérature néerlandaise. Nous reconstruisions alors l’Europe et nous voulions connaître nos voisins. Souvenons-nous que c’est aussi l’époque où a été créé l’Institut Néerlandais. De grands textes néerlandais ont été traduits en français, des textes qui, aujourd’hui, ne sont plus dans le commerce. Je pense à des textes écrits par WF Hermans, Gerard Reve ou encore Joost van den Vondel (1587-1679), le Molière des Pays-Bas. Ce dernier a écrit de la poésie, des tragédies, des histoires des Pays-Bas. Et, de même qu’on qualifie le français de “langue de Molière”, le néerlandais est la “langue de Vondel” (“de taal van Vondel”).

Concernant les traductions, j’aimerais mentionner Jan Wolkers (1925-2007), un auteur peu traduit en français et que j’ai découvert tardivement. Nous avons étudié un de ses livres durant le club de lecture. Il s’agissait de Les Délices de Turquie, livre qui a récemment été réédité en France. Soit dit en passant, je me demande si, en promouvant ce roman, le club de lecture n’a pas joué un rôle dans sa réédition !

Plaisanterie mise à part, Jan Wolkers était un grand styliste qui maniait la langue de façon fabuleuse. Son écriture était brute, crue, mais très belle. Il a aussi vécu à Paris où il était élève à l’atelier Zadkine, pas loin de Montparnasse, à côté du musée Zadkine. Il a écrit de très beaux livres et était marqué par la Seconde Guerre mondiale. Si on devait traduire en français des livres néerlandais un peu plus classiques, ce devrait être aussi des livres de Jan Wolkers !

Et pour ce qui est de la littérature française, quels sont les auteurs français que tu apprécies, qu’ils soient classiques ou contemporains ?

J’ai toujours eu un grand amour pour Proust. En vivant en France, j’ai aussi découvert Balzac que je connaissais avant mais que je ne pouvais pas pleinement apprécier car mon français n’était pas assez bon. Mais surtout, je me retrouve dans les situations qu’il décrit. Parfois, lorsque je marche dans Paris, surtout dans les beaux quartiers comme dans le 7ème, je me dis « c’est ce que Balzac décrivait ».

Son roman Illusions perdues reste d’actualité. Je me souviens de la fois où j’étais allé voir l’éditrice française de Toine Heijmans pour la soirée organisée en son honneur. Ce jour-là, je me sentais comme un personnage de Balzac, quelqu’un qui vient de province et qui découvre le monde parisien.

Plus généralement, j’apprécie la plupart des livres que je lis. Il y a aussi Houellebecq, mais bon…

Jan Wolkers était un grand styliste qui maniait la langue de façon fabuleuse. Son écriture était brute, crue, mais très belle. Il a aussi vécu à Paris où il était élève à l’atelier Zadkine, pas loin de Montparnasse, à côté du musée Zadkine. Il a écrit de très beaux livres et était marqué par la Seconde Guerre mondiale. Si on devait traduire en français des livres néerlandais un peu plus classiques, ce devrait être aussi des livres de Jan Wolkers !

Tu n’aimes pas Houellebecq ? Je n’ai pas d’opinion sur ses livres vu que je ne les ai jamais lus.

Grünberg, que j’évoquais tout à l’heure, est présenté par son éditeur français comme le Houellebecq néerlandais. Mais il y a une grande différence dans leurs façons d’écrire. L’écriture de Grunberg est très crue, cruelle, rauque mais aussi drôle et pleine d’ironie, ce que je ne retrouve pas vraiment chez Houellebecq. Cela dit, c’est très subjectif.

Quid de la lecture en général ? Les Néerlandais lisent-ils peu, beaucoup, autant qu’en France ?

Je ne saurais dire. Aux Pays-Bas, on a chaque année ce qu’on appelle la semaine du livre (“De boekenweek”). Pendant dix jours, les livres sont au centre de l’attention. Des événements sont organisés comme le fameux bal des livres (“Het boekenbal”) qui est très médiatisé. Lors de cette semaine, on a aussi ce qu’on appelle le cadeau de la semaine des livres (“Het boekenweekgeschenk”). La commission pour la promotion de la littérature néerlandaise choisit chaque année un auteur qui va écrire un livre spécialement pour cette occasion. Durant cette semaine, les librairies néerlandaises et, depuis 2014, les librairies flamandes aussi, l’offrent aux clients ayant dépensé un certain montant en achat de livres. Et le dernier dimanche de cette semaine du livre, on peut voyager gratuitement en train sur présentation de ce livre.

Qui est le dernier auteur à avoir écrit ce livre ?

C’est Ilja Leonard Pfeijffer (né en 1968) avec “Monterosso mon amour”. J’aurais aimé le lire mais je n’ai pas trouvé le temps. L’une de nos élèves et membre du club de lecture, Hélène, l’a lu et a beaucoup aimé.

Peux-tu nous dire quelques mots sur l’évolution de la langue néerlandaise? A la différence du français, le néerlandais évolue en effet très vite.

Excellente question. Il faut avoir à l’esprit que l’équivalent néerlandais de l’Académie Française, De Taalunie, l’Union pour la langue néerlandaise, n’a pas tout à fait le même rôle ni le même mode de fonctionnement que l’Académie. Aux Pays-Bas, les instances officielles abordent la langue plus sous un angle que je qualifierais de descriptif que sous un angle prescriptif. Par ailleurs, les Néerlandais ne se soucient pas du tout de la différence entre l’écrit et l’oral. En français, il y a un écart plus grand entre les deux avec certaines choses qui se disent mais ne s’écrivent pas et inversement. Ce n’est pas du tout le cas en néerlandais. Enfin, tous les dix ans environ, l’orthographe des mots est revue ou actualisée, ce qui explique pourquoi les conventions de l’écrit suivent plus ou moins l’évolution de la langue orale.

La conséquence est qu’un texte écrit il y a un siècle n’a plus tout à fait la même orthographe qu’un texte contemporain. De ce point de vue, la différence est beaucoup plus marquée qu’en français. Par exemple, un roman comme Max Havelaar de Multatuli paru en 1860 a été récrit pour être rendu accessible aux lycéens, un peu comme les Essais de Montaigne (1580). Autrement, bon nombre de lecteurs n’arriveraient pas à comprendre le texte. Ce problème n’existe pas en français. En ce qui me concerne, je peux lire sans aucun problème des auteurs tels que Stendhal (1783-1842), Balzac (1799-1850) ou Flaubert (1821-1880). Avec Rabelais (1483-1553), cela devient plus difficile. Ainsi, le néerlandais semble évoluer beaucoup plus rapidement que le français.

Je trouve cela triste. C’est même préoccupant de savoir qu’on n’a plus un accès direct à la littérature d’il y a un siècle. Un siècle, ce n’est rien. C’est par exemple l’époque où paraissaient les différents volumes de La Recherche de Proust (1871-1922).

Je suis d’accord avec toi. Dans le cas néerlandais, on peut citer Couperus déjà évoqué précédemment. Il existe deux versions de son roman Van oude menschen, de dingen, die voorbij gaan… (1906). La première est la version originelle écrite par l’auteur. L’autre est une version plus facile à lire rédigée par des enseignants du secondaire. Je ne vois pas cela d’un bon oeil. Le jeune qui lira cette version ne lira pas Couperus mais un livre qui ressemblera à ce qu’il a écrit mais sans le charme de l’édition originelle.

Au programme du café littéraire de 17 décembre 2022 : Wat wij zagen (2021) de Hanna Bervoets (°1984), paru en français sous le titre Les choses que nous avons vues (traduction Noëlle Michel)

Une dernière question avant de nous quitter : quel sera le prochain livre étudié lors du club de lecture ?

Après avoir, une fois n’est pas coutume, consacré notre réunion à un essai historique (De Bourgondiërs de Bart van Loo, paru en traduction française sous le titre Les Téméraires), nous revenons au roman. Nous nous retrouverons ainsi le 17 décembre pour discuter du livre de Hanna Bervoets (né en 1984), Les choses que nous avons vues (Wat wij zagen).

Plus d’informations sur le club de lecture sur le site du NCNL.